Pour Raymond Domenech, le Brésil est favori mais "les Belges ont les ingrédients"
Raymond Domenech fait parti du club fermé des entraîneurs qui ont fait tomber le Brésil en quart de finale d’une Coupe du Monde. Témoignage.
- Publié le 05-07-2018 à 19h42
- Mis à jour le 05-07-2018 à 22h20
Raymond Domenech fait parti du club fermé des entraîneurs qui ont fait tomber le Brésil en quart de finale d’une Coupe du Monde. Témoignage.
Les sélectionneurs qui ont battu le Brésil en quart de finale se comptent sur les doigts d’une main. En 1954, la merveilleuse Hongrie de Puskas et Hidegkuti dirigée par Gustav Sebes était ressortie victorieuse de la mythique bataille de Berne dans un sommet de tension (4-2). En 1982, cette Italie-Brésil, dernier match de la seconde phase de groupe était un quart de finale déguisé qui a qualifié pour les demis la Squadra d’Enzo Bearzot grâce à un triplé de Paolo Rossi (3-2).
Quatre ans plus tard, nouvel échec pour la Seleçao de Telê Santana et Socrates contre la France de Michel Hidalgo au bout d’une irrespirable séance de tirs au but où Michel Platini a manqué sa tentative. Mais pas Luis Fernandez.
Deux autres éliminations suivront, celle de 2010 face aux Pays-Bas de Bert Van Maarwijk (2-1) faisant suite à celle de 2006, à nouveau contre la France de Raymond Domenech grâce à un but d’un certain Thierry Henry… L’ancien sélectionneur n’a rien oublié de cette victoire.
Douze ans après, il s’en est souvenu pour la DH, puisant dans ce souvenir certaines pistes à exploiter pour les Diables d’aujourd’hui. Un témoignage forcément instructif.
Raymond, quel souvenir gardez-vous de ce match ?
"Pour moi, c’était la rencontre parfaite. Celle où tout ce qui était mis en place a marché. Tout ce qu’on a programmé, tout ce qui était prévu s’est mis en place. Quand on est entraîneur, après un match comme celui-là, on peut arrêter parce qu’on ne pourra pas faire mieux. On pourra copier mais on ne pourra pas faire mieux."
Vous n’avez jamais ressenti une telle maîtrise ?
"Non, jamais. Après il y a l’intensité de la Coupe du Monde. Le fait de rencontrer le Brésil qui était l’archi favori. Cela monte peut-être le curseur un peu plus haut. Je n’avais jamais connu une telle plénitude. Tout marche. Tout va."
Quand avez-vous pris conscience de cette plénitude ?
"Sur le moment en fait. Au bout de cinq minutes, je me tourne vers Pierre Mankowski, mon adjoint et je lui dis : ‘On a gagné ’. ‘ Mais t’es fou ! ’, me répond-il. Je lui ai répondu que : ‘Mais je te dis que si .’ Parce que ce qu’il s’était passé dans les cinq premières minutes de la rencontre était totalement ce qu’on voulait, ce qu’on attendait et ce qu’on imaginait qu’ils pouvaient faire et que nous, on pouvait contrer. Il y avait tout en l’espace de cinq minutes. J’étais d’une sérénité à toute épreuve. J’ai eu ce sentiment de plénitude durant tout le match."
Dans ce match, il y a tout et même le seul but de Thierry Henry en sélection sur une passe décisive de Zinedine Zidane…
"Les gens aimaient beaucoup parler à l’époque de problème. Toujours. On parlait beaucoup de nos problèmes à l’époque mais pas des choses qui marchaient bien. Les circonstances ont fait que cela s’est moins vu et que l’un faisait des passes à l’autre. On avait stigmatisé un peu cette opposition mais je ne l’ai jamais senti sur le terrain ce jour-là. Il était libre, Zidane a pu lui donner le ballon et lui a donné. Il n’a pas fait semblant de le mettre ailleurs."
Si les époques changent, existent-ils des constantes à mettre pour battre le Brésil ?
"Pour les battre, oui. En 2002, c’est le match de la Belgique où un but est refusé ? Je pense qu’ils se sont fait arnaquer par l’arbitrage ce jour-là. C’est clair. Si on avait eu le VAR à ce moment-là, les Belges auraient peut-être été champions du monde. Les Belges ont les ingrédients, ils savent comment on peut faire. Contre les Brésiliens, il ne faut pas perdre le ballon à trente mètres du but. C’est une évidence. Tant qu’ils ont le ballon et qu’on est en place, on risque mais le danger n’est pas là. C’est quand on est dans la phase de construction et qu’on perd le ballon, sur le changement de rythme, quand ils passent de la récupération à l’accélération, cela va à 200 à l’heure. C’est là où la vigilance est extrême. Interdiction totale de perdre le ballon à 30, 40 mètres de son but. Le danger part de là. Toujours. Quand ils récupèrent, cela va vite. Ils donnent vite, ils se mettent en mouvement. Cela joue juste. Et le profil de cette équipe ressemble un peu à celui de 2006. Sauf que nous, avant notre match, ils avaient eu peur de nous et avaient enlevé un attaquant (Adriano) et mis Juninho à la place."
Quel regard portez-vous sur le Brésil de 2018 ?
"Pour moi, c’est le gros favori de cette Coupe du Monde. Il a tout et il a une vraie défense. Un vrai potentiel offensif aussi et des milieux qui ne sont pas là pour amuser la galerie, qui sont des travailleurs, des récupérateurs mais qui savent se projeter vers l’avant. Ils ont une équipe au-dessus. Et ils ont Neymar avec ces défauts qui pénalisent parfois un peu leur jeu collectif mais ses qualités qui permettent de faire la différence parce qu’il représente le coup final. Et ils ont même enfin un gardien de but."
La Seleção dégage aussi de la sérénité sur phases arrêtées, là où vos Bleus et ceux de 1998 l’avaient piégée…
"C’est une question de philosophie. Eux, sur coups de pied arrêtés, ils éprouvent du mal. Parce qu’ils n’aiment pas forcément défendre. Mais aussi parce que tous les adversaires se regroupent en sachant qu’ils jouent contre le Brésil. Ils se disent que sur les coups de pied arrêtés contre eux, c’est là qu’ils ont le plus de possibilités de marquer parce que c’est le seul moment ou presque où l’adversaire se libère. Joue. Ils ne sont pas dans la phase : ‘d’abord, on ne prend pas de but ’ mais dans la phase : ‘ on aura de l’espace sur ces contre-attaques et c’est là qu’on pourra marquer ’. Cela leur a joué de sales tours."
Vous voyez la Belgique leur poser des problèmes ?
"Oui. Les Mexicains leur ont posé des problèmes un moment en allant les chercher, en sortant très vite et en mettant du mouvement et de la vitesse. Et les Belges ont cette capacité. Après, est-ce que les Belges auront la capacité d’empêcher les offensives brésiliennes ? J’en suis moins sûr."
"S’il y en a qui devait reprendre Arsenal, c’était Titi"
Chez les Espoirs d’abord, en A ensuite, Raymond Domenech a longuement dirigé Thierry Henry. Le voir dans le staff des Diables le réjouit. "Je suis content pour lui car cela fera un bon apprentissage et lui permet de voir comment cela fonctionne", expose le technicien. Qui ne peut s’empêcher d’embrayer avec un regret : "Je trouve dommage qu’Arsenal ou un autre club ne lui ait pas donné cette occasion. Par rapport à son statut, c’est dommage qu’il n’y ait pas eu Arsenal. Cela me désole parce que s’il y en a qui devait reprendre Arsenal, c’était bien Titi ."
"Les Diables ont des ressources morales"
Mais Claude Makelele, qui a éliminé le Brésil en 2006, voit la Seleção passer.
Claude Makelele pourrait demander des droits d’auteur à Kevin De Bruyne. En 2006, juste avant le quart qui allait opposer son équipe de France à la Seleçao, l’actuel entraîneur de l’AS Eupen avait eu cette formule choc : "Le Brésil ? Je m’en bats les couilles. Ronaldinho, Machin Chouette, rien à foutre."
Douze ans après, le Français en sourit. Un peu gêné : "Bon, j’étais jeune. Ce que je voulais exprimer, c’était notre rage de vaincre et le fait que nous ne devions craindre personne. De fait ! Maintenant, je sais combien quelqu’un comme Ronaldinho précisément était un grand joueur", souligne l’ancien milieu impressionné par les hommes de Tite. "Le Brésil est solide. Bien équilibré. Doté d’éléments talentueux. À ce stade de la compétition, et à un tel niveau, il ne faut plus s’attendre à croiser des clients. C’est costaud."
Au point de ne pas avoir de failles ? "Je dirais que les Diables m’ont impressionné par les ressources morales affichées. Sans cette force de caractère, jamais ils ne seraient parvenus à renverser la vapeur et à éliminer le Japon. C’est remarquable de répondre ainsi aux problèmes posés par l’adversaire. Les Belges l’ont réalisé. Mais je pense que le Brésil va passer", pronostique-t-il avant d’aller plus loin : "Ensuite, il rejouera la France… Nous vivons un Mondial un peu bizarre. Très ouvert en tout cas. On se rend compte que plusieurs nations peuvent la brandir cette coupe planétaire. Dont la France."
Et la Belgique !